Discussion proposée par un « Collectif informel »
CASSER LA MONTÉE DU PARTI NATIONAL (force à la décivilisation !)
La montée de l’extrême-droite comme position est indéniable. Courant sur des décennies, elle est la conjugaison de deux dynamiques : une droitisation du pôle de gouvernement (le point où « ça gouverne » se déplace) et une droitisation de la contestation. Il est possible que les deux dynamiques se renforcent l’une l’autre, malgré leur contradiction apparente. Cette possibilité est au fond celle du fascisme : accession au pouvoir d’un parti de l’ordre nanti d’une certaine aura « révolutionnaire ». Mais à mesure que l’extrême-droite se rapproche du pouvoir, son aura de subversion tend à s’éteindre.
La droitisation du pôle de gouvernement a lieu dans un moment historique bien particulier, dans une ambiance générale de fin de règne. Menacée dans son existence même, la civilisation se replie sur ses fondamentaux (la peur du chaos). Elle fait de plus en plus l’objet d’une défense explicite, tâche dont l’extrême-droite s’acquitte avec le zèle et la balourdise qu’on lui connaît. Celle-ci a « lancé » le thème de la décivilisation, avant que Macron ne s’en empare. Ce qu’ils regardent avec horreur et salissent autant qu’ils le peuvent indique ni plus ni moins la voie nouvelle de la révolution. Ce que nous construisons, l’ébranlement massif de l’ordre général, ils le craignent et le désirent, l’agitent dans l’espoir de planter un couteau dans le dos du changement.
La droitisation de la contestation s’explique par l’effondrement en soi tout à fait réjouissant d’une illusion, celle de voir dans la gauche une option de renversement de l’ordre des choses. Ce n’est pas l’idée d’un renversement général qui perd en pertinence, c’est son incarnation par la gauche qui est le comble de l’absurdité. L’extrême-droite capitalise sur cette idée, qu’elle canalise dans un but unique, le triomphe mondial du ressentiment. Si la contestation se droitise, ce n’est donc pas parce que la gauche est devenue impuissante (elle l’a toujours été), mais parce que l’option révolutionnaire n’existe nulle part.
Pour la droite radicale, le tour de force consiste à présenter un renforcement du parti de l’ordre comme une politique anti-servitude. Bien sûr, cela ne prendrait pas sans une main basse sur « le vote populaire » et l’effet de séduction associé.
C’est le jeu : les politiciens se disputent la protection du peuple avant d’en avoir la garde et le contrôle. Contrairement à ce qu’on prétend souvent, les dirigeants n’ignorent pas le peuple, ils le convoitent et le conquièrent comme la seule garantie du pouvoir maximal, la légitimité. Bachar n’a pas de meilleure justification que le salut du peuple (pour le massacrer). Le pouvoir a besoin de légitimité, l’arbitraire de ses raisons et de ses gestes
exige l’onction divine. Vox populi, vox dei. Le peuple est le meilleur moyen de désinhibition pour les décideurs, la cocaïne de la gouvernementalité.
Le peuple est ce à quoi on ne peut plus s’identifier. La démocratie n’a jamais signifié la fin de l’oligarchie, elle promet seulement l’élargissement de la citoyenneté. Tout ce qu’une politique populaire a à offrir, c’est un meilleur partage du butin national entre les élus à la citoyenneté, donc une intensification de la part coloniale de tout État-nation.
On parle des rapports entre Sud et Nord global, de l’abaissement des non-nationaux et plus généralement de la suprématie de l’homme. Celle-ci est à l’œuvre dans le très vieux secteur de l’espèce (comme exploitation de la nature), et se décline dans tous les champs de domination (classe, race, genre, etc). À considérer le fond suprémaciste de la politique civilisée, on comprend mieux la persistance de l’extrême-droite.
Peuple, légitimité, constitution, centralité de l’homme, émancipation : le modèle de la révolution française, son culte civique, est partout au pouvoir et incarne désormais ce qu’il faut renverser. L’anticapitalisme, qui l’épargne et le prolonge, échoue. Il est aujourd’hui dans le caniveau, c’est-à-dire à la portée de l’extrême-droite.
Pourtant, le monde tel qu’il est, l’époque même, est une occasion révolutionnaire. Parce que la foi dans le modèle dominant va mettre des décennies à se reconstituer. Ce ne sont pas les raisons de se révolter qui manquent, mais bien la méthode pour trouver leur point de cristallisation. Ce monde règne par un certain mode d’appartenance (nation, territoire, peuple, constitution, émancipation). La politique révolutionnaire est simplement celle qui déserte et prend pour cible tout cela. C’est seulement par un autre mode d’appartenance, une autre position, qu’on le combat. Voilà la méthode.
On parle de faire exister l’option révolutionnaire, d’une vie de combat, et non de faire des pieds et des mains pour intégrer les derniers codes de l’émancipation. C’est jouer gros et mener une nouvelle vie. Il n’est pas difficile d’en égrainer les ingrédients de base : ne pas rester seul, ne plus travailler, jeter son smartphone, pratiquer l’émeute, prioriser la politique (…) D’une manière générale, faire preuve d’imagination. En toute situation, dans chaque pratique, déjouer l’option de gouvernement, trouver autre chose.
La gauche n’existe que dans sa relation à la révolution, qu’elle parasite. Elle est là pour imiter, surfer sur, siphonner, trahir, prévenir, réprimer, instituer, labelliser, vendre, la position révolutionnaire. Plus on valide la gauche, plus on rend les armes face à elle, plus on diminue les chances d’une révolution, c’est-à-dire d’une opposition sérieuse et conséquente à ce monde.
Casser dès maintenant la montée du parti national, c’est participer à l’irruption d’un bloc révolutionnaire, et de manière indissociable, combattre l’union sacrée progressiste, rompre avec l’association des bienfaiteurs de gauche.